Carlos Candiotti
Chef d'équipe
Résidence de J.A. DeSève
On le rappelle souvent : la Maison du Père, c’est beaucoup plus que de l’hébergement d’urgence. C’est un lieu qui vise aussi une stabilisation de vie sur le long terme. L’un des départements qui contribue à cette tâche, c’est la Résidence J.A. De Sève, une résidence pour personnes âgées de 87 chambres privées, officiellement accréditée par le gouvernement, abritant des hommes de la rue. Pour découvrir le travail de la Résidence, quoi de mieux qu’un entretien avec Carlos, l’inestimable chef d’équipe des intervenants de la Résidence.
Carlos est un homme de taille moyenne, d’une politesse marquée, avec un regard qui traduit son souci des autres. Il parle doucement, avec un accent chantant de l’Amérique du Sud. Assis à la table d’une petite salle du 2e étage de l’édifice, d’une voix chaleureuse, il partage avec nous son parcours de vie et son expérience à la Maison du Père.
Enseignant de formation, Carlos a aussi un bac par cumul en toxicomanie, santé mentale et gérontologie. Il est à la Maison du Père depuis 2006, d’abord comme bénévole, puis comme intervenant, et enfin comme chef d’équipe à la Résidence. C’est à Lima, au Pérou (son pays d’origine) qu’il a découvert sa vocation d’aider les personnes âgées. En 1988, il y a commencé à apporter chaque semaine, comme bénévole, un soutien spirituel aux personnes âgées et aux malades de sa paroisse. Il y accompagnait ces personnes pendant des années, parfois jusqu’à organiser leurs funérailles.
Il a ensuite enseigné à partir de 1992 et pendant dix années au cœur de « la brousse », dans une école d’un petit village au rivage du fleuve Amazone, vers le nord-est du pays, près du Brésil. À cette école, il a appris à favoriser le bien-être tant des élèves que des parents. Cette école lui a donc enseigné, à son tour, les aptitudes nécessaires pour travailler à la Maison du Père. « J’ai vu là-bas que c’est la personne, la priorité. Une école existe pour qui? Pour les élèves. Ça m’a appris à faire le parallèle. Ici, la Maison du Père existe pour qui? Pour moi? Non. Elle existe pour les ‘messieurs’, pour les résidents. Ma mission ici, c’est alléger la souffrance. …surtout, apporter un peu de paix. Si on peut apporter un peu d’espoir, pourquoi pas? », ajoute-t-il.
Carlos apporte de l’espoir à des usagers de la Résidence provenant de plusieurs parcours différents. Par exemple, certains ont des problèmes de toxicomanie, ou de santé mentale. Certains ont été mis à la rue après avoir résidé dans des logements peu chers mais détériorés, parfois infestés de punaises. « Parfois, ça va faire monter le stress, ce qui fait monter la consommation (de drogues, ou d’alcool). C’est comme un cercle vicieux dont on peut difficilement sortir. » D’autres sont dans la rue depuis longtemps, mais des problèmes de santé rendent impossible la poursuite de ce mode de vie.
Arrivé à la Résidence, chaque usager se voit assigner un intervenant, qui s’occupe de sa santé physique et mentale. Lorsqu’installé, on élabore avec lui un plan d’intervention visant l’engagement du résident à trouver une solution à ses problèmes. De plus, on s’assure qu’il obtienne un médecin de famille, on assiste au suivi de son dossier médical et l’on veille à la stabilisation de sa santé par la bonne administration des médicaments.
Il se voit offrir également plusieurs activités : yoga, pétanque, billard, jardinage, lecture, photographie, promenades, sorties, etc. Certains services sont également disponibles, tels que la coiffure, la massothérapie ou la préparation de lunettes. Il y a aussi « la visite amicale » : des bénévoles visitent périodiquement les résidents pour jouer aux cartes, jouer aux échecs, ou simplement pour parler, et il y a les visites très appréciées d’Argon, le sympathique et infatigable chien de soutien de la Maison du Père.
Enfin, il y a des bienfaits plus immatériels que les usagers trouvent à la Résidence, parfois même sans les chercher. « Au départ, peut-être, la motivation (pour les hommes venant vivre à la Résidence), c’est trouver où se coucher, où manger, pas trop cher. », dit Carlos. « Mais après, je vois que la personne va changer sa motivation. Parce qu’ils vont trouver ici une résidence, des amis, une nouvelle famille, des personnes qui prennent soin d’eux… ils vont s’attacher. »
Il poursuit : « Dans la rue, tu n’es personne. Personne ne te regarde. Un usager m’a déjà dit… qu’un membre de sa famille est passé devant lui, dans la rue, sans le voir. C’était son père. », se souvient-il, ému. Mais à la Maison du Père, un tel individu « est salué, par son nom, et on lui sourit. La personne ‘devient’ une personne. Il dit : ‘C’est moi, ça’. …il y avait quelqu’un qui voulait partir, et après quelques semaines de réflexion, il est venu me dire qu‘il va rester. Parce qu’ici, il est quelqu’un. Ici, il est reconnu. » Voilà une contribution essentielle pour les hommes de la Maison du Père.